Il ne faut pas oublier que c'est un livre d'aventure aux allures de thriller avec une intrigue policière... tout un programme !  

 

 

Tokyo, Arrondissement de Minato.          Kunakashi Nori ne se lasse pas de contempler la vue depuis le 53ème étage de la Mori Tower où se situe son bureau. Il distingue au loin la tour Eiffel de couleur rouge que ses concitoyens ont érigée dans son quartier de Roppongi Hills. Pourquoi cet amour immodéré pour la France et pour tout ce qui est français ? Il ne comprend pas le japon d'aujourd'hui. Même la mairie de Tokyo a pris des allures de "Notre Dame de Paris"! Il trouve cela, à proprement parler, ridicule. Toutefois, en ce qui concerne l'hôtel de ville, le caractère français devient anecdotique face aux millions de yens qu'il a pu prélever lors de la construction de cet immense bâtiment.

         Les rues bruyantes du quartier d'Airin à Osaka, où il a grandit, lui manquent un peu. Mais son statut de chef de la plus grande famille de yakuzas d'Honshû exige de diriger son empire depuis le centre de Tokyo. Cette tour, qui lui a permis aussi de gagner beaucoup d'argent, se situe en plein milieu d'un quartier d'affaires prospères. Le racket qu'il a exercé sur les différentes entreprises de construction a pris son point d'orgue lorsqu'il s'est octroyé ces 5000 mètres carrés de bureaux, à l'endroit où l'immobilier est le plus cher du monde. Il peut désormais, côtoyer les décideurs des entreprises les plus rentables du Japon et ceci, dans l'enceinte même du building. Les quatre restaurants privés du gratte-ciel ne désemplissent pas et c'est autour de chefs et de vins français (encore !) que se négocient les contrats les plus juteux du pays. Et là où il y a beaucoup de yens… il se doit d'être présent.

         Un léger toussotement dans son dos lui permet de savoir que sa secrétaire est entrée dans la vaste pièce. Sans se retourner, il s'adresse à elle, le regard toujours porté au loin.

         - Qu'y a t il Sayuri–chan ?

         Les yeux rivés vers le sol en signe de respect la jeune fille sait que même si le ton est doux et les paroles de miel, cet homme est un tigre sans pitié. Elle a vu à plusieurs reprises ce gentil grand-père aux tempes argentées, condamner des hommes ou des femmes à une mort atroce sans se départir ni de son calme, ni de son doux sourire… Son "Sayuri–chan" littéralement "chère petite fleur de lys" est une formule inspirée de l'esprit "kaso" qui doit régner dans la pièce. Son patron a payé une fortune pour que l'agencement des cloisons, la disposition des meubles et le choix des objets respectent cet art ésotérique. Les dernières nouveautés high-tech réparties dans la pièce doivent s'effacer derrière cette lutte ancestrale que mènent les chefs japonais contre le mauvais sort.

         - Keiji Hitsuji vient de téléphoner, il est arrivé par le Shinkansen d'Osaka et sera là dans cinq minutes. Pourrez vous le rencontrer Kunakashi-sama ?

         - Bien sûr ! Qu'il ne perde pas de temps; j'attends avec impatience les renseignements qu'il m'apporte.

         Le vieil homme renvoie la jeune femme d'un revers de sa main. Une fois de plus, la vue exceptionnelle sur la cité tentaculaire attire son regard. Il se dit qu'en fait, Hitsuji (le bélier), porte bien son nom. En effet Keiji fonce droit devant et fait toujours avancer les choses. Cette qualité est quelquefois aussi son plus grand défaut car son travail manque souvent de souplesse et de réflexion. Mais pour l'heure son meilleur homme de main lui amène une affaire exceptionnelle. Elle devrait lui permettre d'amasser une véritable fortune mais, mieux encore, de "mouiller" une entreprise de haute technologie. Il ne peut réprimer un sourire. Les dirigeants de ce business de pointe ne savent pas que faire appel, ne serait-ce qu'une fois, à la mafia japonaise les liera à vie à cette organisation criminelle.

         Sayuri, entre une nouvelle fois dans la pièce. Elle est accompagnée de Keiji Hitsuji qui salue son dirigeant d'un bref hochement de la tête. Avant de s'effacer, elle ne peut se retenir d'observer le capitaine mafieux. Cet homme d'une trentaine d'années, arrive à rester élégant malgré ses larges épaules. Cela est certainement dû à son costume de prix qui en dit long sur sa position dans la hiérarchie mafieuse. Pour un japonais, il est très grand, un bon mètre quatre vingt dix; un cou massif sur un large torse avec des bras extrêmement musclés. L'homme a la taille fine, malgré sa stature imposante, ce qui sous-entend des exercices physiques réguliers. Ses traits restent harmonieux même s'ils manquent un peu de finesse à cause de ses yeux noirs, encadrés de rides profondes, réduits à deux petites fentes. La jeune femme remarque une pointe bleue débordant de son col à l'arrière de son cou, certainement la fin d'un tatouage recouvrant l'ensemble de son dos. Comme la plupart des gens de sa caste, son corps doit retracer sa personnalité et les exploits guerriers qu'il a accomplis dans sa vie de malfrat. Instinctivement, elle porte son regard vers la main gauche à laquelle il manque une phalange… C'est le signe d'une erreur passée dans le parcours professionnel du bandit.

A son grand étonnement celui-ci se met à parler, brisant la règle selon laquelle il doit attendre un signe de son supérieur.

         - "Kunakashi-sama", j'ai réussi ! Nous aurons bientôt un échantillon !

         Le chef Yakusa réprime l'envie de le remettre à sa place, mais comment aller contre la nature du bélier ? Il décide de passer outre ce manquement à l'étiquette et attend la suite.

         - Notre contact chez "STRIA" nous garantit une livraison avant la fin du mois. Voulez-vous que j'aille personnellement faire l'échange ?

         Le maître des lieux a déjà réfléchi à la question :

         - Non seulement tu feras l'échange mais il faudra que tu t'assures que pour le prix que nous payons, STRIA ne soit plus un problème pour nos clients japonais. Cette entreprise doit perdre son laboratoire et toute la documentation se rapportant à ce projet. Suis-je assez clair Hitsuji-san ?

         - Ok boss ! Ils ne pourront plus rien produire après mon passage chez eux. Dois-je éliminer notre contact ?

         Une fois encore la violation du protocole n'arrache qu'un haussement de sourcils à son patron. Pourtant la plupart de ses employés peuvent être rossés sévèrement à coups de bâton si leur langage ne correspond pas au standard de Nori.