Canada, Alberta, province d'Athabasca, haut de la rivière Manac .

 

         L'air reste encore froid en ce début de printemps. Le vent a beaucoup perdu de sa puissance hivernale et ce n'est qu'un tout petit souffle qui vient mourir dans ce coin reculé de la forêt. La formation en "v" d'une bande de bernaches glisse dans le ciel limpide, accompagnée du cancanement profond, presque musical, des oiseaux migrateurs.

Les grands mélèzes et les pins centenaires jouent parfaitement le rôle de paravent face à l'entrée de la combe qu'il a choisie. Une entaille profonde, garnie de blocs de rochers moussus, éventre un côté de la pente raide de la montagne. C'est là, à mi chemin de la crête créée par cette faille, qu'il a décidé de passer l'hiver.

Il a creusé un abri dans un renfoncement situé sous une énorme souche coincée entre deux blocs de granit. L'entrée de son repaire, soutenue par ses piliers de pierre, à demi enterrée dans la déclivité du terrain, est à peine visible. Cet endroit est presque parfait : trop haut, il aurait été exposé aux éléments; trop bas, le vallon aurait pu se transformer en ruisseau dès la fonte des neiges.

         Un timide rayon de soleil vient d'atteindre le seuil de la tanière. Sous le rideau de racines vole un ballet d'insectes attirés par l'odeur du fauve qui sommeille là. Ce signe ne trompe pas l'écureuil gris juché sur le bras tordu du grand pin. Si les moucherons s'activent cela veut dire que l'habitant des lieux a bougé ! Prudent le petit animal détale et le sous bois retentit des frottements de ses petites griffes sur le tronc et des cris stridents qu'il pousse en disparaissant vers le haut. Le museau carré de l'ours apparaît entre les radicelles qui pendent au dessus de son antre. Dans la lumière cristalline du matin on devine la présence de poils roux sur le côté de sa lourde mâchoire. Aujourd'hui il n'ira pas plus loin, ses yeux, démesurément petits en regard de la taille de sa tête, inspectent les environs.

Après trois longs mois d'hibernation, son réveil est nettement plus laborieux que celui de son bruyant petit voisin. Il recule, et retourne vers le fond de son abri pour continuer à dormir. Pourtant dans quelques heures, son sommeil sera une nouvelle fois interrompu… non pas par le soleil mais par la faim. A partir de ce moment là, la montagne entière ne sera plus la même car un de ses plus redoutables prédateurs sera de retour.